— Le récit de la fourmilière — Un déva propose une énigme à un bhikkhou, qui demande au Bouddha de l'expliquer. Ainsi ai-je entendu. En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta. À cette époque, le vénérable Kassapa le Jeune séjournait au Bois des Aveugles. Un matin, un dieu d’une merveilleuse beauté illumina tout le Bois des Aveugles dans la splendeur de la nuit finissante. Il s’approcha du vénérable Kassapa et se tint convenablement debout. Ainsi debout, il dit au vénérable : —Moine ! Moine ! La fourmilière fume la nuit et flambe le jour. Le brahmane dit : “Creuse avec le poignard, sage”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit une barre de porte et déclare : “Une barre de porte, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire la barre de porte, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit un crapaud enflé et déclare : “Un crapaud enflé, seigneur.” Le brahmane dit : “Retire le crapaud enflé, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit une bifurcation et déclare : “Une bifurcation, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire la bifurcation, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit un linge à filtrer et déclare : “Un linge à filtrer, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire le linge à filtrer, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit une tortue et déclare : “Une tortue, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire la tortue, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit un billot et déclare : “Un billot, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire le billot, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit un morceau de viande et déclare : “Un morceau de viande, seigneur”. Le brahmane dit : “Retire le morceau de viande, sage, en creusant avec le poignard”. Le sage creuse avec le poignard, aperçoit un nâga et déclare : “Un nâga, seigneur”. Le brahmane dit : “Laisse le nâga, ne frappe pas le nâga, respecte le nâga”. « Maintenant, moine, tu devrais aller trouver le Seigneur, lui soumettre ces énigmes et retenir les explications qu’il te fournira. Dans le monde avec ses dieux, avec ses Mâras et ses Brahmas, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, je ne vois personne—hormis le Tathâgata, un disciple du Tathâgata ou quelqu’un qui aurait entendu leurs réponses—qui puisse stimuler l’esprit par l’explication de ces énigmes. » Ainsi parla le dieu. Et il disparut subitement. À la fin de la nuit, le vénérable Kassapa se rendit auprès du Seigneur, le salua en arrivant et s’assit convenablement. Une fois bien assis, le vénérable Kassapa raconta au Seigneur toute l’histoire (à répéter ici mot pour mot) et lui demanda : —Que représente la fourmilière, Seigneur ? Que signifie fumer la nuit ? Que veut dire flamber le jour ? Qui est le brahmane ? Qui est le sage ? Que symbolise le poignard ? Que signifie creuser ? Que représente la barre de porte ? Le gros crapaud ? Le carrefour ? Le linge à filtrer ? La tortue ? Le billot ? Le morceau de viande ? Et le nâga ? —La fourmilière, moine, représente le corps formé des quatre grands éléments, engendré par le père et la mère, nourri de lait caillé et de riz, temporaire, périssable, fragile, destructible et voué à disparaître (comme la fourmilière, le corps est composé d’un amoncellement de constituants et habité par quantité d’êtres minuscules). Fumer la nuit signifie beaucoup repenser la nuit aux activités de la journée passée et beaucoup les soupeser. Et flamber le jour veut dire mettre en œuvre le jour les activités physiques, verbales et mentales que l’on a beaucoup envisagées et longuement soupesées la nuit. Le brahmane représente le Tathâgata accompli et parfait Bouddha ; le sage est le moine qui s’exerce (à la discipline supérieure, aux états d’être supérieurs et à la sagacité supérieure). Le poignard représente la sagacité immaculée. Le fait de creuser évoque la vigueur dans l’action. La barre de porte symbolise l’aveuglement (qui bloque la porte ouvrant sur le Dénouement). Retirer la barre de porte en creusant avec le poignard signifie éliminer l’aveuglement (au moyen de la sagacité). Le crapaud enflé représente la colère débordante. Retirer le crapaud enflé en creusant avec le poignard signifie éliminer cette colère. La bifurcation symbolise l’hésitation. Retirer la bifurcation en creusant avec le poignard signifie éliminer l’hésitation. Le linge à filtrer représente les cinq obstacles (qui ne laissent pas passer les états bénéfiques) : l’élan sensoriel, l’aversion, l’engourdissement-torpeur, l’agitation-inquiétude et l’hésitation. Retirer le filtre en creusant avec le poignard signifie éliminer ces cinq obstacles. La tortue (avec la tête et les 4 pattes sortant de la carapace) représente les cinq ensembles saisis : les aspects physiques, les ressentis, les perceptions, les composants mentaux et les états de conscience (quand ils sont saisis comme siens ou comme soi). Retirer la tortue en creusant avec le poignard signifie abandonner les cinq ensembles saisis. « Le billot, moine, représente les cinq sortes de plaisirs sensoriels : les apparences perceptibles par l’œil, désirables, plaisantes, délicieuses, charmantes, tentantes et attachantes, les sons perceptibles par l’oreille… les odeurs perceptibles par le nez… les saveurs perceptibles par la langue… et les touchers perceptibles par le corps, désirables, plaisants, délicieux, charmants, tentants et attachants. Retirer le billot en creusant avec le poignard signifie éliminer les plaisirs sensoriels. Le morceau de viande représente l’attachement à la jouissance (les animaux et les hommes recherchent la viande dont ils aiment le goût, comme les êtres cherchent la jouissance et s’y attachent). Retirer le morceau de viande en creusant avec le couteau signifie éliminer l’attachement à la jouissance. Et le nâga représente le moine qui a détruit les contaminations. Voilà pourquoi on dit : “Laisse le nâga, ne frappe pas le nâga, respecte le nâga”. » Ainsi parla le Seigneur. Le vénérable Kassapa le Jeune fut satisfait des paroles du Seigneur et il s’en réjouit. Le vénérable prit ces explications comme base de pratique, développa la multivision et atteignit l’Accomplissement. ———oOo——— Publié comme un don du Dhamma, pour être distribué librement, à des fins non lucratives. ©2015 Christian Maës. Toute réutilisation de ce contenu doit citer ses sources originales. |