— Le récit de l’incontestable — Les gens de foyer de la ville de Sālā restent perplexes face à la diversité des doctrines que leurs exposent les renonçants appartenant à différentes sectes qui les visitent. Le Bouddha leur délivre un enseignement incontestable, démontrant entre autres qu'agir en accord avec les opinions qui nient l'importance des préceptes moraux représente un danger potentiel qui peut être évité, et qu'il est préférable d'agir en accord avec les opinions qui donnent une importance à la moralité. Ainsi ai-je entendu. En ce temps-là le Seigneur voyageait par étapes à travers le Kosala avec une grande troupe de moines. Il arriva à un village de brahmanes appelé Sâlâ. Les brahmanes maîtres de maison à Sâlâ entendirent parler de l’ascète Gotama, fils des Sakyas, qui avait quitté la tribu Sakya, voyageait au Kosala et avait atteint Sâlâ : “Une flatteuse réputation accompagne l’ascète Gotama : le Seigneur (bhagavā) est accompli (arahaṁ), parfait Bouddha (sammāsambuddha), doué de science et de bonne conduite (vijjacaraṇa), bien allé (sugato), connaisseur du monde, suprême, cocher des mâles à dresser, maître des dieux et des hommes, Bouddha, Seigneur. Il voit de ses propres yeux, par connaissance directe, le monde avec ses dieux, ses Mâras, ses Brahmas, cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, et il le proclame. Il expose l’enseignement (dhamma), excellent au début, excellent au milieu, excellent à la fin, avec le fond et la forme, et il décrit la vie sainte (brahmacariya) et pure dans sa totalité. Il est bon de voir de tels accomplis”. Les brahmanes maîtres de maison à Sâlâ se rendirent auprès du Seigneur. Certains saluèrent le Seigneur en arrivant et s’assirent convenablement, d’autres échangèrent avec le Seigneur des paroles courtoises et mémorables avant de s’asseoir convenablement, d’autres encore s’inclinèrent mains jointes devant le Seigneur et s’assirent convenablement, il y en eut qui dirent au Seigneur leur prénom et leur nom avant de s’asseoir convenablement, et d’autres qui s’assirent convenablement sans rien dire. Quand ils furent tous bien assis, le Seigneur demanda aux brahmanes, maîtres de maison à Sâlâ : —Y a-t-il, maîtres de maison, quelque maître (satthā) estimé en qui vous ayez une confiance (saddhā) bien fondée ? —Non, Seigneur, nous n’avons pas de maître estimé en qui nous puissions avoir une confiance raisonnée. —Ceux, maîtres de maison, qui n’ont pas trouvé de maître estimable doivent entreprendre la démarche (dhamma) incontestable et la poursuivre, car si cette démarche est bien comprise et bien pensée, elle vous vaudra bonheur et bienfaits pour longtemps. En quoi consiste cette démarche incontestable ? Il y a des ascètes et des brahmanes qui affirment et qui croient : “Les dons n’ont aucun effet, ce qu’on offre rituellement est vain, ce qu’on sacrifie ne procure pas de bénéfice, les bonnes et les mauvaises actions n’ont pas de conséquences, ce monde-ci n’existe pas (pour qui est dans l’autre monde), l’autre monde n’existe pas (pour qui vit ici), il n’y a pas de conséquences aux comportements justes ou faux envers sa mère ou son père, personne ne renaît par apparition, il n’y a dans le monde aucun ascète ou brahmane, accompli et pleinement réalisé, qui révèle ce monde-ci, et l’autre monde qu’il verrait de ses propres yeux, par expérience directe”. Mais d’autres ascètes et brahmanes affirment exactement le contraire, ils disent : “Les dons ont des effets, ce qu’on offre rituellement est utile, ce qu’on sacrifie procure des bénéfices, les bonnes et les mauvaises actions ont des conséquences, l’autre monde existe, tout autant que ce monde-ci, il y a des conséquences aux comportements justes ou faux envers sa mère et son père, certains êtres renaissent par apparition, il y a dans le monde des ascètes et des brahmanes, accomplis et pleinement réalisés, qui révèlent ce monde-ci et l’autre monde qu’ils voient de leurs propres yeux, par expérience directe”. Qu’en pensez-vous, maîtres de maison : ces ascètes et ces brahmanes ne se contredisent-ils pas mutuellement ? —Assurément si, Seigneur. —Des premiers qui affirment et qui croient : “Les dons n’ont aucun effet… “, on peut s’attendre à ce qu’ils rejettent ces trois choses bénéfiques (kusala) que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale, et à ce qu’ils s’adonnent à ces trois choses pernicieuses (akusala) que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes ne voient pas les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, ni les avantages des choses bénéfiques qui sauvent (du pernicieux), leur côté purificateur. Il y a un autre monde, la perspective qu’il n’y en aurait pas est une croyance fausse (micchadiṭṭhi). Bien que l’autre monde existe, ils imaginent qu’il n’existe pas, conception fausse (micchasaṅkappa). Alors qu’il existe bien un autre monde, ils affirment qu’il n’y en a pas, cela est une parole fausse (micchāvācā). Bien qu’il y ait un autre monde, ils disent qu’il n’y en a pas et contredisent ainsi les Accomplis (arahanto) qui connaissent l’autre monde. Alors que l’autre monde existe, ils convainquent autrui qu’il n’existe pas, ceci est pour autrui une perception illusoire (asaddhammasaññatti), mais ils se vantent de cette illusionet en profitent pour rabaisser les autres. Ainsi la bonne conduite antérieure est-elle abandonnée et l’indiscipline établie, car plusieurs mauvais facteurs pernicieux se produisent à cause de cette croyance erronée : croyance fausse, conception fausse, parole fausse, contradiction des Purs, perception illusoire, vantardise et humiliation d’autrui. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : s’il n’y a pas d’autre monde, cette bonne personne trouvera sa sécurité lors de la destruction de son corps. Mais s’il y a un autre monde, cette bonne personne tombera, avec la destruction de son corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Voudrait-on qu’il n’y ait pas d’autre monde et que la parole de ces honorables ascètes et brahmanes soit vraie, il n’en resterait pas moins que les sages blâment une telle personne dans la vie présente : “Individu indiscipliné ! Croyance erronée ! (natthikavādo : affirmant qu’il n’y a pas)”. Et s’il y a un autre monde, cette bonne personne joue perdant des deux côtés, car elle est blâmée par les sages dans la vie présente et elle tombera, avec la destruction du corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Donc, si cette démarche incontestable est mal comprise et mal pensée, elle ne se développe que d’un seul côté et ruine les attitudes bénéfiques. Pour les ascètes et les brahmanes, maîtres de maison, qui affirment et qui croient : “Les dons ont des effets…” on peut en attendre qu’ils rejettent ces trois choses pernicieuses que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale, et qu’ils s’adonnent à ces trois choses bénéfiques que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce qu’ils voient les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, et aussi les avantages des choses bénéfiques qui sauvent, leur côté purificateur. Il y a bien un autre monde, et cette perspective qu’il y ait un autre monde est une vision juste (sammādiṭṭhi). Il existe un autre monde, et celui qui imagine qu’il existe bien a une conception juste (sammāsaṅkappa). Un autre monde existe, celui qui affirme qu’il existe a une parole juste (sammāvācā). Il y a un autre monde, et celui qui dit qu’il existe ne contredit pas les Accomplis qui connaissent l’autre monde. Un autre monde existe, ils le font percevoir à autrui et cette perception est vraie, mais ils ne se vantent pas de cette perception vraie et n’en profitent pas pour rabaisser les autres. Ainsi la mauvaise conduite antérieure est-elle abandonnée et la bonne discipline établie, car plusieurs facteurs bénéfiques se font jour grâce à cette perception authentique : vision juste, conception juste, parole juste, non-contradiction des Purs, perception vraie, non-vantardise et non-humiliation des autres. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : S’il y a bien un autre monde, cette bonne personne ira, avec la destruction du corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Voudrait-on malgré tout que la parole des autres ascètes et brahmanes soit vraie et qu’il n’y ait pas d’autre monde, il n’en resterait pas moins que les sages louent cette personne dans la vie présente : “Personne disciplinée, vision juste, (atthikavādo : affirmant qu’il y a)”. Et s’il y a un autre monde, cette bonne personne joue gagnant des deux côtés, car elle est louée dans cette vie par les sages et elle ira, lors de la destruction de son corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Ainsi, si cette démarche incontestable est bien comprise et bien pensée, elle se développe des deux côtés et abandonne les attitudes pernicieuses. « Il y a des ascètes et des brahmanes qui affirment et qui croient : “Couper en morceaux, ordonner de couper en morceaux, trancher (les membres d’autrui) ou les faire trancher, châtier ou faire châtier, chagriner (en volant les biens, etc.), tourmenter (en affamant, empoisonnant, envahissant les maisons, etc.), terroriserou faire terroriser, détruire le souffle vital (pāṇa), prendre ce qui n’est pas donné, ouvrir une brèche (dans une maison) et emporter le butin, encercler une demeure (pour la piller), attendre sur la grand-route (pour détrousser les passants), séduire la femme d’autrui, proférer des mensonges : en accomplissant tout cela on ne commet aucun mal. Même si on ne faisait qu’un tas de viande avec une grande roue bien aiguisée, qu’une masse de chair de tous les êtres vivant sur cette terre, il n’y aurait rien de mal à cela, ce ne serait pas une source (āgamo) du mal. Si l’on parcourait la rive sud du Gange (où vivent des peuplades cruelles) en tuant, massacrant, mutilant ou faisant mutiler, incendiant ou faisant brûler, il n’y aurait là rien de mal, ce ne serait pas une source du mal. Et si on parcourait la rive nord du Gange (où habitent des populations pieuses) en faisant des offrandes ou en les faisant faire, en accomplissant des rites ou en les faisant faire, il n’y aurait aucun mérite (puñña) à cela, ce ne serait pas une source de mérite. Il n’y a pas de mérite, ni de source de mérite, à faire des offrandes, à se maîtriser, à se contrôler ni à parler vrai.” Mais il y a d’autres ascètes et brahmanes qui affirment et qui croient exactement le contraire : “Couper en morceaux, ordonner de couper en morceaux, trancher ou faire trancher, châtier ou faire châtier, chagriner, tourmenter, terroriser ou faire terroriser, détruire le souffle vital, prendre ce qui n’est pas donné, ouvrir une brèche et emporter le butin, encercler une demeure, attendre sur la grand-route, séduire la femme d’autrui, proférer des mensonges : en agissant ainsi du mal est commis. Si on ne faisait qu’un tas de viande avec une grande roue bien aiguisée, qu’une masse de chair de tous les êtres vivant sur cette terre, du mal serait fait, ce serait une source de mal. Si l’on parcourait la rive sud du Gange en tuant, en massacrant, en mutilant, en faisant mutiler, en incendiant et en faisant brûler, du mal serait fait, ce serait une source de mal. Et si on parcourait la rive nord du Gange en faisant des offrandes, en en faisant donner, en accomplissant des rites ou en les faisant faire, il y aurait du mérite à cela, ce serait une source de mérite. Il y a mérite et source de mérite à faire des offrandes, à se maîtriser, à se contrôler et à parler vrai.” Qu’en pensez-vous, maîtres de maison : ces ascètes et ces brahmanes ne se contredisent-ils pas mutuellement ? —Assurément si, Seigneur. —Des premiers qui affirment et qui croient : “Couper en morceaux… en faisant tout cela on ne commet aucun mal…” on peut s’attendre à ce qu’ils rejettent ces trois choses bénéfiques que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale, et à ce qu’ils s’adonnent à ces trois choses pernicieuses que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes ne voient pas les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, ni les avantages des choses bénéfiques qui sauvent, leur côté purificateur. Il y a bien des actions efficientes (kiriya) et la perspective qu’il n’y ait pas d’efficience de l’action (kiriyā) est une croyance fausse. Bien que l’action soit efficiente, ils imaginent qu’elle ne l’est pas, leur conception est fausse. Alors que l’action est efficiente, ils affirment qu’elle ne l’est pas, leur parole est fausse. Bien que l’action soit efficiente, ils disent qu’elle ne l’est pas et contredisent les Accomplis qui affirment son efficience. Alors que l’action est efficiente, ils persuadent autrui qu’elle ne l’est pas et ceci est pour autrui une perception illusoire, mais ils se vantent de cette illusion et en profitent pour rabaisser les autres. Ainsi la bonne conduite antérieure est-elle abandonnée et l’indiscipline établie, car plusieurs mauvais facteurs pernicieux naissent de cette croyance erronée : croyance fausse, conception fausse, parole fausse, contradiction des Purs, perception illusoire, vantardise et humiliation d’autrui. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : s’il n’y a pas d’action efficiente, cette bonne personne trouvera sa sécurité lors de la destruction de son corps. Mais si l’action est efficiente, cette bonne personne tombera, avec la destruction de son corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Voudrait-on qu’il n’y ait pas d’efficience de l’action et que la parole de ces honorables ascètes et brahmanes soit vraie, il n’en resterait pas moins que les sages blâment une telle personne dans la vie présente : “Individu indiscipliné ! Croyance erronée ! !” Et s’il y a une efficience de l’action, cette bonne personne joue perdant des deux côtés, car elle est blâmé dans la vie présente par les sages et elle tombera, avec la destruction du corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Ainsi, si cette démarche incontestable est mal comprise et mal pensée, elle ne se développe que d’un seul côté et ruine les attitudes bénéfiques. « Pour les ascètes et les brahmanes, maîtres de maison, qui affirment et qui croient : “Couper en morceaux… en faisant cela, du mal est commis…” on peut en attendre qu’ils rejettent ces trois choses pernicieuses que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale, et qu’ils s’adonnent à ces trois choses bénéfiques que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes voient les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, et aussi les avantages des choses bénéfiques qui sauvent, leur côté purificateur. Il y a bien une efficience de l’action, et cette perspective que l’action est efficiente est une croyance juste. Il existe une efficience de l’action, et celui qui imagine qu’elle existe bien a une conception juste. L’action est efficiente, celui qui affirme qu’elle l’est a une parole juste. Il y a une efficience de l’action, et celui qui la proclame ne contredit pas les Accomplis qui proclament l’efficience. L’action est efficiente, ils en persuadent autrui, ceci est une perception vraie, mais ils ne se vantent pas de cette vérité et n’en profitent pas pour rabaisser les autres. Ainsi la mauvaise conduite antérieure est-elle abandonnée et la bonne discipline établie, car plusieurs facteurs bénéfiques apparaissent grâce à cette perception authentique : vision juste, conception juste, parole juste, non-contradiction des Purs, perception authentique, non-vantardise et non-humiliation des autres. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : Si l’action est efficiente, cette bonne personne ira, avec la destruction de son corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Voudrait-on malgré tout que la parole des autres ascètes et brahmanes soit vraie et qu’il n’y ait pas d’efficience de l’action, il n’en resterait pas moins que les sages louent cette personne dans la vie présente : “Personne disciplinée, vision juste, ”. Et si l’action est efficiente, cette bonne personne joue gagnant des deux côtés, car elle est louée dans cette vie par les sages et elle ira, lors de la destruction du corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Ainsi, si cette démarche incontestable est bien comprise et bien pensée, elle se développe des deux côtés et abandonne les attitudes pernicieuses. « Il y a des ascètes et des brahmanes qui affirment et qui croient : “Il n’y a pas de cause, pas de raison à la souillure des êtres, les êtres se retrouvent souillés sans cause ni raison. Il n’y a pas de cause, pas de raison à la pureté des êtres, les êtres se retrouvent purs sans cause ni raison. Ni la force (bala), ni la vigueur (viriya), ni la persévérance virile ni le courage viril (ne font qu’on se souille ou qu’on se purifie) ; tous les êtres (sattā), tous ceux qui respirent (pāṇā), tous ceux qui existent (bhūtā), tous ceux qui vivent (jīvā) sont sans pouvoir, sans force et sans vigueur, ils sont forgés par le destin, les circonstances ou la nature, et ils ressentent ainsi du plaisir et de la souffrance dans les six classes. « Mais d’autres ascètes et brahmanes affirment exactement le contraire : “Il y a une cause, il y a une raison à la souillure des êtres, les êtres ne se retrouvent pas souillés sans cause ni raison. Il y a une cause, il y a une raison à la pureté des êtres, les êtres ne se retrouvent pas purs sans cause ni raison. Il y a la force, il y a la vigueur, il y a la persévérance virile, il y a le courage viril (qui font qu’on se souille ou qu’on se purifie). Tous les êtres, tous ceux qui respirent, tous ceux qui existent, tous ceux qui vivent ne sont pas sans pouvoir, sans force, sans vigueur, ils ne ressentent pas le plaisir et la souffrance dans les six classes parce qu’ils seraient forgés par le destin, les circonstances ou la nature.” Qu’en pensez-vous, maîtres de maison : ces ascètes et ces brahmanes ne se contredisent-ils pas mutuellement ? —Assurément si, Seigneur. —Des premiers qui affirment et qui croient : “Il n’y a pas de cause… “, on peut s’attendre à ce qu’ils rejettent ces trois choses bénéfiques que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale, et à ce qu’ils s’adonnent à ces trois choses pernicieuses que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes ne voient pas les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, ni les avantages des choses bénéfiques qui sauvent, leur côté purificateur. Il y a bien une cause, la perspective qu’il puisse ne pas y en avoir est une croyance fausse. Bien qu’il y ait une cause, ils imaginent qu’il n’y en a pas, cette conception est fausse. Alors qu’il existe une cause, ils affirment qu’il n’y en a pas, leur parole est fausse. Bien qu’il y ait une cause, ils disent que cela n’existe pas et contredisent ainsi les Accomplis qui proclament cette cause. Alors qu’il y a une cause, ils convainquent autrui qu’il n’y en a pas, ceci est pour autrui une perception illusoire, or ils se vantent de cette illusion et en profitent pour rabaisser les autres. Ainsi la bonne conduite antérieure est-elle abandonnée et l’indiscipline établie, car plusieurs mauvais facteurs pernicieux se produisent à cause de cette croyance erronée : croyance fausse, conception fausse, parole fausse, contradiction des Purs, perception illusoire, vantardise et humiliation d’autrui. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : S’il n’y a pas de cause, cette bonne personne trouvera sa sécurité lors de la destruction du corps. Mais s’il y a une cause, cette bonne personne tombera, avec la destruction de son corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Voudrait-on qu’il n’y ait pas de cause et que la parole de ces honorables ascètes et brahmanes soit vraie, il n’en resterait pas moins que les sages blâment une telle personne dans la vie présente : “Individu indiscipliné ! Croyance erronée ! !” Et s’il y a une cause, cette bonne personne joue perdant des deux côtés, car elle est blâmée dans la vie présente par les sages et elle tombera, avec la destruction du corps ou après la mort, dans une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Donc, si cette démarche incontestable est mal comprise et mal pensée, elle ne se développe que d’un seul côté et ruine les attitudes bénéfiques. Pour les ascètes et les brahmanes qui affirment et qui croient : “Il y a une cause…” on peut en attendre qu’ils rejettent ces trois choses pernicieuses que sont la mauvaise conduite physique, la mauvaise conduite verbale et la mauvaise conduite mentale, et qu’ils s’adonnent à ces trois choses bénéfiques que sont la bonne conduite physique, la bonne conduite verbale et la bonne conduite mentale. Pourquoi vont-ils se comporter ainsi ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes voient les inconvénients des choses pernicieuses, leur aspect avilissant et souillant, et aussi les avantages des choses bénéfiques qui sauvent, leur côté purificateur. « Il y a bien une cause, et cette perspective qu’il y en a une est une croyance juste. Il existe une cause, et celui qui imagine qu’elle existe a une conception juste. La cause existe, celui qui affirme son existence a une parole juste. Il y a une cause, et celui qui dit qu’elle existe ne contredit pas les Accomplis qui proclament son existence. La cause existe, ils la font percevoir à autrui et cette perception est vraie, mais ils ne se vantent pas de cette perception vraie et n’en profitent pas pour rabaisser les autres. Ainsi la mauvaise conduite antérieure est-elle abandonnée et la bonne discipline établie, car plusieurs facteurs bénéfiques apparaissent grâce à cette perception authentique : vision juste, conception juste, parole juste, non-contradiction des Purs, perception vraie, non-vantardise et non-humiliation des autres. Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : S’il y a bien une cause, cette bonne personne ira, avec la destruction de son corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Voudrait-on malgré tout que la parole des autres ascètes et brahmanes soit vraie et qu’il n’y ait pas de cause, il n’en resterait pas moins que les sages loue une telle personne dans la vie présente : “Personne disciplinée, vision juste, ”. Et s’il y a bien une cause, cette bonne personne joue gagnant des deux côtés, car elle est louée dans cette vie par les sages et elle ira, lors de la destruction de son corps ou après la mort, dans une bonne destinée, un monde céleste. Ainsi, si cette démarche incontestable est bien comprise et bien pensée, elle se développe des deux côtés et abandonne les attitudes pernicieuses. « Il y a, maîtres de maison, des ascètes et des brahmanes, qui affirment et qui croient : “Il n’y a nulle part de (monde de Brahma) non physique”. Mais d’autres ascètes et brahmanes affirment exactement le contraire : “Il existe sûrement un non-physique (ārupa)”. Qu’en pensez-vous, maîtres de maison : ces ascètes et ces brahmanes ne se contredisent-ils pas mutuellement ? —Assurément si, Seigneur. —Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : certains ascètes et brahmanes affirment et croient qu’il n’y a nulle part de non-physique, or je ne le sais pas par moi-même. D’autres ascètes et brahmanes affirment et croient qu’il y a certainement un non-physique, mais je ne le vois pas par moi-même. Si moi qui ne vois pas et ne sais pas, je prenais parti et proclamais : “Cela seul est vrai et le contraire est inepte”, je commettrais une inconvenance. Si les honorables ascètes et brahmanes qui disent qu’il n’y a pas de non-physique ont raison, je pourrai au moins renaître chez les dieux physiques (rūpino) faits de l’état d’être (du jhâna). Mais si ceux qui affirment qu’il existe un non-physique disent vrai, je pourrai alors renaître chez les dieux non physiques faits de la perception (de l’absorption non physique). On peut observer dans le monde physique les bâtons brandis, les épées dégainées, les disputes, les pugilats, les combats, les duels, les calomnies et les mensonges. Mais rien de tel n’existe dans la sphère non physique. Quand on réfléchit ainsi, on est dégoûté des éléments physiques, on s’en détache, on y met fin. « Il y a, maîtres de maison, des ascètes et des brahmanes qui affirment et qui croient : “Il n’y a jamais d’arrêt de l’existence”. Mais d’autres ascètes et brahmanes affirment exactement le contraire, ils disent : “Il existe certainement un arrêt de l’existence (bhavanirodha = nibbāna, Dénouement)”. Qu’en pensez-vous, maîtres de maison : ces ascètes et ces brahmanes ne se contredisent-ils pas mutuellement ? —Assurément si, Seigneur. —Dans ce cas, maîtres de maison, un homme sage réfléchit : Certains ascètes et brahmanes affirment et croient qu’il n’y a jamais d’arrêt de l’existence, or je ne le sais pas moi-même. D’autres ascètes et brahmanes affirment et croient qu’il y a certainement un arrêt de l’existence, mais je ne le vois pas par moi-même. Si moi qui ne vois pas et ne sais pas, je prenais parti et proclamais : “Cela seul est vrai et le contraire est inepte”, je commettrais une inconvenance. Si les honorables ascètes et brahmanes qui disent qu’il n’y a jamais d’arrêt de l’existence ont raison, je pourrai au moins renaître chez les dieux non physiques faits de perception. Et si les autres qui disent que l’arrêt de l’existence est sûrement possible ont raison, alors moi aussi je pourrai me dénouer complètement (parinibbāyissami) dès l’existence présente. Pour les honorables ascètes et brahmanes qui affirment et croient qu’il n’y pas d’arrêt de l’existence, cette croyance est entachée d’attachement (au monde), proche des liens (du désir), voisine d’une jouissance (comportant désir et croyance), elle ressemble à une servitude, à une dépendance. Mais pour les autres qui affirment et qui croient qu’il y a bien un arrêt de l’existence, cette vision est libre d’attachement, loin des liens, éloignée de toute jouissance, ne ressemblant pas à une servitude ni à une dépendance. Quand on réfléchit ainsi, on est dégoûté de toute existence, on s’en détache, on y met fin. « On peut trouver, maîtres de maison, quatre sortes d’individus dans le monde. Lesquelles ? Voici un individu qui se martyrise et se consacre à sa propre torture. Un autre individu martyrise les autres et s’attache à les torturer. Il y en a un troisième qui se martyrise lui-même, qui martyrise autrui et qui se consacre à cette double torture. Mais un quatrième ne se martyrise pas lui-même, ne martyrise pas autrui et ne se consacre pas à la torture de lui-même ou des autres. Sans se martyriser ni martyriser autrui, il est rassasié (sans désir) dans la réalité présente, apaisé, refroidi (par la disparition des souillures brûlantes), il ressent le bonheur (du jhâna, du chemin, du Fruit, du Dénouement) et demeure lui-même Brahma (le tout meilleur). Et comment, maîtres de maison, un individu se martyrise-t-il et se consacre-t-il à sa propre torture ? Voici : cet individu vit nu, il se conduit de façon choquante (en transgressant volontairement les usages), il lèche dans sa main la nourriture (posée là par les fidèles), il n’obéit pas aux invitations “venez, seigneur” ou “attendez, seigneur” (lancées par les fidèles quand ils proposent à manger), il ne mange pas la nourriture apportée en premier ni celle préparée à son intention ni celle à laquelle on le convie, il n’accepte pas la nourriture du bord du pot ni celle du bord de la marmite (pour éviter que le pot ou la marmite ne soient touchés, blessés par la cuillère), ni celle qui franchit un seuil, une baguette ou un pilon, il ne l’accepte pas quand deux personnes mangent ensemble (il se peut qu’une des deux se lève pour faire un don et cette situation peut créer une gêne), il ne l’accepte pas d’une femme enceinte, d’une femme allaitante ou d’une femme amoureuse (car cela peut léser l’embryon ou le nourrisson ou nuire au plaisir), ni de pourvoyeurs, ni là où il y a un chien (pour ne pas prendre sa part), ni là où pullulent les mouches (pour ne pas les léser), il ne mange pas de poisson ni de viande et ne boit pas de liqueurs, d’alcools ou de céréales fermentées. Il reçoit la nourriture dans une seule maison, une seule cuillerée ; dans deux maisons, deux cuillerées… dans sept maisons, sept cuillerées. Il se nourrit d’un seul petit don, de deux petits dons… de sept petits dons. Il mange tous les jours, tous les deux jours… tous les sept jours. il finit même par s’appliquer à ne manger qu’une fois par quinzaine. Il mange des feuilles, il mange du millet sauvage, du riz sauvage, des rognures de cuir, des plantes aquatiques, de cette poudre rouge que l’on trouve sur le riz, de la partie du riz qui est brûlée (au fond de la marmite et que l’on jette), des herbes ou des bouses de vaches. Il se nourrit de racines et de fruits sauvages, il mange les fruits tombés. Il se vêt de chanvre, il se vêt de chanvre mélangé, il se vêt d’un linceul, de rebuts, d’écorces, d’une peau d’antilope, d’une demi-peau d’antilope, d’herbes tressées, d’écorces tressées, de plaquettes de bois assemblées, d’une couverture en cheveux humains, d’une couverture en crins de cheval ou en plumes de chouette. Il se fait arracher les cheveux et les poils de barbe et s’en tient à cette règle. Il reste debout en refusant tout siège. Il s’accroupit et fait l’effort de rester accroupi (en se déplaçant par bonds, sans se relever, s’il veut bouger). Il a une litière d’épines et s’y allonge. Il se tient à la règle de descendre rituellement dans l’eau trois fois par jour. Voilà comment il se consacre aux multiples règles d’un ascétisme corporel rigoureux. C’est ainsi que cet individu se martyrise et se consacre à sa propre torture. Comment un individu martyrise-t-il les autres et se consacre-t-il à leur torture ? Il abat les moutons, les cochons ou les volailles, chasse les daims, se comporte brutalement, il est pêcheur, voleur, bourreau, geôlier ou se livre à toute autre occupation cruelle. Voilà ce qu’on désigne par individu qui martyrise les autres et se consacre à leur torture. Et comment un individu se martyrise-t-il lui-même, martyrise-t-il autrui et se consacre-t-il à la torture des autres et de lui-même ? Voici un roi guerrier consacré ou un grand brahmane prospère qui fait édifier une nouvelle salle de sacrifice à l’est de la ville. Il se fait raser les cheveux et la barbe, se vêt d’une peau de gazelle (avec les sabots), s’enduit de beurre clarifié et d’huile. En se grattant le dos avec une ramure de cerf, il pénètre dans la salle en compagnie de la grande reine et du grand-prêtre brahmane. Il fait préparer une litière de feuilles à même le sol nu. Le roi se nourrit du lait d’une seule tétine d’une unique vache qui a un veau de la même couleur qu’elle. La reine se nourrit du lait de la deuxième tétine, le grand-prêtre du lait de la troisième, et l’on verse le lait de la quatrième dans le feu. Le veau se nourrit de ce qui reste. Le roi commande : “Abattez tant de taureaux pour le sacrifice, abattez tant de génisses pour le sacrifice, abattez tant de chèvres pour le sacrifice, abattez tant de béliers pour le sacrifice, coupez tel nombre d’arbres pour ériger des piliers, récoltez telle quantité d’herbe pour les sièges sacrés”. Les esclaves, les serviteurs et les autres travailleurs accomplissent leur tâche sous la peur du bâton, mus par la crainte, le visage en pleurs, en se lamentant. Voilà ce qu’on appelle un individu qui se martyrise lui-même, martyrise les autres et se consacre à la torture des autres et de lui-même. Et comment un individu ne se martyrise-t-il pas lui-même, ne martyrise-t-il pas les autres et ne se consacre-t-il pas à la torture de lui-même ni des autres, comment est-il rassasié dans la réalité présente, apaisé, refroidi, comment ressent-il du bonheur et demeure-t-il lui-même Brahma ? Un Tathâgata apparaît dans ce monde, il est accompli, parfait Bouddha, doué de science et de bonne conduite, bien-allé, connaisseur du monde, suprême, cocher des mâles à dresser, maître des dieux et des hommes, Bouddha et Seigneur. Il voit de ses propres yeux, par connaissance directe, ce monde avec ses dieux, ses Mâras, ses Brahmas, ses ascètes et ses brahmanes, et cette humanité avec ses rois divins et ses hommes, et il le proclame. Il enseigne le dhamma, bon au début, bon au milieu et bon à la fin, avec le fond et la forme, et il montre la vie sainte dans son intégralité et sa parfaite pureté. Un maître de maison, un fils de maison ou un natif de tel ou tel clan entend ce dhamma, et ce dhamma lui donne confiance dans le Tathâgata. Quand il a cette confiance, il réfléchit : “Mon foyer est encombré et poussiéreux alors que l’errance se vit au grand air. Il n’est pas facile pour ceux qui restent chez eux de mener la vie sainte dans son intégralité, entièrement pure et polie comme une conque. Je ferais mieux de me faire raser les cheveux et la barbe, de revêtir les robes safran et de passer du foyer au sans-foyer.” Par la suite, il abandonne la masse de ses biens, grande ou petite, il abandonne le cercle de ses connaissances, grand ou petit, il se fait raser les cheveux et la barbe, il revêt les robes safran et passe du foyer au sans-foyer. Après ce passage, il adopte l’entraînement et le mode de vie des moines. Il rejette la destruction du souffle vital et s’abstient de détruire le souffle vital. Il pose le bâton, il pose l’épée, il se contient, il est compatissant et soucieux du bien-être de tout ce qui existe et respire. Il rejette le vol et s’abstient de prendre ce qui n’est pas donné. Il ne prend que ce qui est donné, il n’aspire qu’à ce qui est donné, il reste pur de tout vol. Il rejette les conduites impures, il s’en écarte, mène une vie chaste et s’abstient des relations sexuelles naturelles aux villageois. Il rejette les tromperies et s’abstient de tromper. Il dit la vérité, il persiste dans la vérité et y persévère, il est digne de confiance et ne se joue pas de son monde. Il rejette les paroles malveillantes et s’abstient de parler avec malveillance. Il ne rapporte pas ici ce qu’il a entendu là-bas pour nuire à ceux-là, il ne rapporte pas là-bas ce qu’il a entendu ici pour nuire à ceux-ci, il réconcilie ceux qui sont brouillés, il réunit les réconciliés, il se plaît à la concorde, se délecte de la concorde, se réjouit de la concorde et prononce les mots qui amènent la concorde. Il rejette les paroles dures ou grossières et s’abstient de parler grossièrement. Les paroles qu’il prononce sont douces, agréables à l’oreille, elles vont au cœur, elles sont courtoises, délicieuses et plaisantes pour le plus grand nombre. Il rejette les vains bavardages et s’abstient de bavarder. Il parle en temps opportun, il dit ce qui est, il parle de la réalité, il parle du dhamma, il parle du vinaya, et ses paroles, dignes d’êtres retenues, sont opportunes, argumentées, cadrées et utiles. Il s’abstient de détruire les plantes et les arbres. Il se contente d’un seul repas par jour et s’abstient de manger la nuit ou en dehors du temps prescrit. Il s’abstient de chanter, de danser et de jouer de la musique, il renonce aux spectacles excitants. Il s’abstient de porter des guirlandes, des parfums, du maquillage, des bijoux ou des cosmétiques. Il refuse les lits grands ou élevés. Il refuse l’or et l’argent. Il refuse les grains crus. Il refuse la viande crue. Il refuse les femmes et les jeunes filles. Il refuse les esclaves, hommes ou femmes. Il refuse les chèvres et les boucs. Il refuse les coqs et les cochons. Il refuse les éléphants, les vaches, les chevaux et les juments. Il refuse les champs et les terres. Il refuse de porter des messages. Il refuse d’acheter ou de vendre. Il s’abstient de falsifier les poids, les monnaies ou les mesures. Il s’abstient de frauder, de tromper ou d’escroquer. Il s’abstient de mutiler, d’exécuter, d’enchaîner, d’attaquer les passants, de piller ou de se livrer à des violences. Il se contente de la robe qui lui couvre le corps et du bol d’aumône qui lui remplit l’estomac, et où qu’il aille, il les emporte avec lui. Partout où va l’oiseau, il vole avec ses ailes. De même, le moine se contente de la robe qui lui couvre le corps et du bol d’aumône qui lui emplit l’estomac, et où qu’il aille, il les emporte avec lui. Quand il se conforme à l’ensemble de ces disciplines immaculées, il ressent un bonheur intérieur sans faille. Quand il voit une apparence avec l’œil… quand il entend un son avec l’oreille… quand il sent une odeur avec le nez… quand il goûte une saveur avec la langue… quand il sent un toucher avec le corps… ou quand il connaît un connaissable avec la faculté de connaître, il n’en saisit pas le signe principal ni les détails révélateurs qui permettraient à la convoitise, à l’insatisfaction et à d’autres agents mauvais et pernicieux de l’envahir aussi longtemps que la faculté correspondante resterait incontrôlée. Il s’engage dans ce contrôle, protège ses facultés et se consacre au contrôle de ses facultés. « Quand il va vers l’avant ou vers l’arrière, il agit en toute sagacité. Quand il regarde devant lui ou de côté, il agit en toute sagacité. Quand il plie ou étend les membres, il agit en toute sagacité. Quand il revêt la cape ou la robe, quand il prend son bol, il agit en toute sagacité. Quand il mange, boit, mâche ou savoure, il agit en toute sagacité. Quand il urine ou défèque, il agit en toute sagacité. Quand il marche, quand il se tient debout, assis ou couché, quand il est éveillé, quand il parle, quand il se tait, il agit en toute sagacité. Quand il se conforme à l’ensemble de ces disciplines immaculées, qu’il possède en outre ce pur contrôle des facultés et cette pleine conscience vigilante, il se rend dans un lieu de séjour isolé : forêt, pied d’un arbre, montagne, grotte, ravin, cimetière, plateau boisé, tente ou paillote. Là, après le repas, quand il est revenu de sa tournée d’aumône, il s’assied jambes croisées, se redresse et fixe sa vigilance devant lui. En éliminant toute convoitise pour le monde, il demeure sans convoitise et lave son attention de toute convoitise. En éliminant le défaut de l’aversion, il demeure sans aversion, il reste soucieux du bien-être de tout ce qui existe et respire, et il lave son attention de toute forme d’aversion. En éliminant l’engourdissement et la torpeur, il demeure sans engourdissement ni torpeur, il perçoit lucidement, il reste vigilant, pleinement conscient et lave son attention de tout engourdissement ou torpeur. En éliminant l’agitation et l’inquiétude, il demeure sans agitation, son attention reste paisible et il lave son attention de toute agitation ou inquiétude. En éliminant l’hésitation, il demeure sans hésitation, il ne se pose pas de questions et lave son attention de toute hésitation relative aux manifestations bénéfiques. Quand il a éliminé ces cinq obstacles—ces impuretés de l’attention qui affaiblissent la sagacité—, c’est seulement en s’isolant du sensoriel, en s’isolant des agents pernicieux, qu’il accède au premier jhâna… au deuxième jhâna… au troisième jhâna… au quatrième jhâna. « Quand son attention est ainsi concentrée, purifiée, sans tache, sans souillure, qu’elle est souple, maniable, stable et immuable, il l’oriente vers la connaissance-remémoration des habitats antérieurs. Il se remémore des habitats antérieurs variés, à savoir une naissance, deux naissances, trois, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, cent, mille, cent mille naissances, plusieurs ères de destruction, plusieurs ères d’édification, plusieurs ères de destruction et d’édification : “J’eus là tel nom, telle lignée, telle couleur, telle nourriture, je connus tel bonheur et tel malheur, j’eus telle durée de vie. Quand je décédai, je naquis à un endroit où j’eus tel nom, telle lignée, telle couleur, telle nourriture, où je connus tel bonheur et tel malheur, et où j’eus telle durée de vie. Quand je décédai, je naquis ici”. Ainsi se remémore-t-il des habitats antérieurs variés avec leurs aspects et leurs désignations. « Quand son attention est ainsi concentrée, purifiée, sans tache, sans souillure mineure, qu’elle est souple, maniable, stable et immuable, il l’oriente vers la connaissance de la mort et de la renaissance des êtres. Avec l’œil divin bien purifié et plus qu’humain, il voit les êtres mourant et renaissant, inférieurs ou supérieurs, beaux ou laids, fortunés ou infortunés. Il reconnaît que le parcours des êtres dépend de leur kamma : “Les êtres qui se conduisent mal physiquement, verbalement et mentalement, qui critiquent les Purs, qui ont des croyances erronées et qui agissent en ayant des croyances erronées, accèdent, lors de la brisure du corps ou après la mort, à une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Les êtres qui se conduisent bien physiquement, verbalement et mentalement, qui ne critiquent pas les Purs, qui ont des croyances justes et qui agissent en ayant des croyances justes, accèdent, lors de la brisure du corps ou après la mort, à une bonne destinée, un monde céleste.” C’est ainsi qu’avec l’œil divin… il reconnaît que le parcours des êtres dépend de leur kamma. « Quand son attention est ainsi concentrée, purifiée, sans tache, sans souillure mineure, qu’elle est souple, maniable, stable et immuable, il l’oriente vers la connaissance de l’élimination des contaminations. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est le malheur ”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est la source du malheur”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est la cessation du malheur”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est le chemin qui mène à la cessation du malheur”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ce sont les contaminations”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est la source des contaminations”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est l’arrêt des contaminations”. Il connaît en profondeur, en vérité : “Ceci est le chemin qui mène à l’arrêt des contaminations”. Alors qu’il connaît cela, qu’il voit cela, son esprit est délivré de la contamination par les plaisirs sensoriels, son esprit est délivré de la contamination par le (désir d’une meilleure) existence, son esprit est délivré de la contamination par l’aveuglement. Dans la Délivrance vient la connaissance “délivré”. Il sait avec sagacité que la naissance est détruite, la vie sainte vécue, fait ce qui était à faire, et rien de plus ici-bas. » Ainsi parla le Seigneur. Et les brahmanes maîtres de maison à Sâlâ lui dirent : —C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est comme si l’honorable Gotama avait redressé ce qui penchait, avait révélé ce qui était caché, avait montré le chemin à l’égaré, et avait apporté une lampe dans l’obscurité pour que ceux qui ont des yeux voient ! C’est ainsi de plusieurs façons que l’honorable Gotama a exposé la réalité. Nous cherchons refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha monastique. Que l’honorable Gotama nous considère dès à présent comme des fidèles qui garderont le refuge aussi longtemps qu’il leur restera un souffle de vie. ———oOo——— Publié comme un don du Dhamma, pour être distribué librement, à des fins non lucratives. ©2015 Christian Maës. 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